[Savoies-Vosges] Macchabée vs Thomas

J'avançais en trébuchant dans cette foule compacte de visages horribles, de membres difformes, de sourires pâles, tristes. J'évitais les contacts, mais je sentais ces mains affreuses me palper, ces verges dressées se frotter à moi, ces yeux me dévisager intégralement. J'avais peur, peur de cette nouvelle civilisation, de ce nouveau monde empli d'individus en tout genre. Peur de ce qu'il était devenu.
J'hésitais, poursuivi ma route un peu plus loin, mes pas pris de palpables hésitations. On tentait de me dévisager sous ma capuche sombre, ils tentaient tous, ces ignobles êtres abjectes de me percer à jour, moi, tellement supérieur à eux. Et pourtant, je reculais devant cette masse. Ils étaient dangereux, et je le savais. Ils n'hésiteraient pas à me tabasser, à m'écorcher vif s'ils prenaient conscience de ma personnalité et des actes que j'avais accompli pour satisfaire ma soif, et plus grande encore que celle-ci, satisfaire ma raison d'être.
La vérité se situait dans le sommeil. Chacun d'entre eux semblait enfoui dans une profonde extase tranquillisante, dans des rêves singuliers, et pourtant si originaux. Ils dormaient, la voilà la vérité, et ils peinaient à se réveiller, ils ne le souhaitaient pas, et ne l'aurait pas souhaité pour rien au monde. Non, non, ils vivaient dans leur monde à eux, ne partageaient pas celui-ci, horrible et terriblement laid.
J'étais un inconnu, pire, un ennemi, ils souhaitaient profondément ma mort, mais tout comme moi, aucun n'osait franchir le premier pas de danse, aucun n'osait soulever ce capuchon pour révéler mon identité tenue pour secrète. Et pourtant une part de moi souhaitait que l'un d'entre eux le fasse, ose, puisqu'ainsi mon appétit serait satisfait, je pourrais sauter sur cette nouvelle proie à loisir, me farcir et ronger ces os grouillant de leur maladie mentale, leur dégénérescence absolue.
Je m'éloignais, plus vite que je le pouvais de ces zombis, vivants et pourtant si peu ici. Ils semblaient entièrement déconnectés de ce monde, tel dans un jeu vidéo, virtuellement ici, et pourtant leur essence se situait ailleurs.
Ou peut-être me fourvoyais-je, leur essence se révélerait être nulle, absence, trou, néant dans cet esprit massacré par cette société bancale et aliénante. Peut-être n'étaient-ils tous en fin de compte que des êtres succombant à leur désirs primaires de volonté d'être reconnus, d'être riches, d'avoir une vie paisible, à défaut de pouvoir vivre et d'être heureux. Peut-être se cherchaient-ils eux-mêmes, ne pouvant pas se résoudre à vivre cette vie qu'ils vivaient pourtant bel et bien, et que dans cette quête, ils n'avaient trouvé et s'étaient résolu à l'absurde, à l'absence de vie. La moindre difficulté semblait secouer cette population entière, la mettre à genou, avoir un pouvoir pour une telle chose bénigne. Cela se révélait frappant, et triste.
Il n'y avait plus aucun espoir en ces contrées dénuées de la moindre parcelle d'intelligence, et de conscience de soi, et de réflexion personnelle. On n'en trouvait plus aucun d'individus s'accomplissant, s'élevant, conscient de lui-même, vivant tout simplement. Les stars influençaient les modes de vie des gens, les sloggans des états totalitaires tabassaient ces esprits massacrés, perdus dans les confins de l'esprit.

Je sentais comme une odeur de poudre, mêlée à des embruns marins qui fouettaient plutôt violemment mes narines. J’ai mis un certain temps à émerger de ce qui me semblait une léthargie complète. Voire une sacrée amnésie. Comment je suis atterri là bordel ? Pas un foutu moyen de m’en souvenir. Du noir est venue la lumière,  ex tenebris lucem, et je me suis réveillé. Quand j’y repense, c’était comme renaître une deuxième fois. Débarquer dans un monde dont on ne savait rien. Avec l’action en plus cela dit, parce qu’à peine lever, un type qui sentait la charogne à juger malin de me filer un vieux flingue à moitié rouillé et une lame qui, au touché, semblait plus émoussée que tranchante.

S’est succédé en moi une litanie de pensée pour déterminer le pourquoi du comment de cette situation qui me semblait diablement rocambolesque, et dont je n’arrivais pas à reconstituer la continuité avec mon existence précédente, si tant est qu’existence précédente il fut. Mes sens analysèrent rapidement, après le temps de réaction lié à l’émergement qui dura une bonne minute. J’étais sur un vieux rafiot au bois pourris, qui malgré tout, tenait la mer. Ça en était presque surprenant, à bien y réfléchir. Je crois que deux semaines plus tard, il était démantelé à Tortuga. Des marins, ou du moins ce des figurants vachement bien costumés, couraient dans tous les sens, comme un possédé qui chercherait à se délivrer du démon qui l’occupe, et qui en même temps se faisait courser par un exorciseur fanatique. Drôlement vite quoi. J’ai déambulé au milieu des cris et des insultes diverses ; ils causaient un drôle de patois, mélange d’anglais et d’espagnol, avec une pointe d’hollandais à peine perceptible. J’ai fini par atterrir sur le pont, et là, et là mes amis ! quelle vision ! Le décor était superbe. Non, franchement, il avait de la gueule, et je suis bien rester autant que j’ai pu pour le regarder, mais dans l’agitation qui régnait sur le bâtiment, on m’a finalement bousculer et j’ai fini affalé sur le sol, à lécher le plancher. Le capitaine du bateau hurlait des ordres à tout va, invectivait son équipage. Je l’ai reconnu à son chapeau. En fait du moins j’ai cru le reconnaître, parce qu’il a disparût l’instant d’après dans un nuage de fumée.

C’est là que j’ai vu qu’un peu plus, à quelques encablures, un autre navire nous faisait face. Il battait pavillon britannique. Ses cannons étaient pointés vers nous. Nul doute qu’on croyait avoir ferré un gros poisson, mais que celui-ci c’était révélé trop gros pour notre force. Le capitaine émergea en toussotant du nuage suscité, et déclama dans son langage rustique que quitte à mourir, autant le faire le sabre au clair. J’ai tiré le mien sans trop réfléchir, il m’a regardé, je l’ai regard, m’a félicité, et a juré devant tout l’équipage que s’il lui arrivait quelque chose, je serai capitaine du navire à la seconde suivant sa mort. Je l’aimais bien finalement, ce vieux bonhomme. Le navire a fait demi-tour, aussi vite que possible, et à arraisonner l’autre coque de bois. Les armatures se sont entrechoquées violemment, et les canons ont fait feu de tout bord, bois contre bois. Les hommes se sont lancés du haut des mats sur le navire anglais et la lutte à fait rage sur le pont supérieur. Prenant mon courage à deux mains, et désormais parfaitement intégré, je sautais moi aussi. Enfin tentait, puisque sitôt lâché la corde, mon adresse naturelle m’amène au milieu de l’eau, où je me noyais. En ouvrant les yeux.